Le palais de Tokyo pour lui tout seul, Philippe Parreno investit l’espace avec des œuvres qui posent questions. Accueilli par la danse colorée de la seiche, entre visages d’enfants et manifestations sociales, le visiteur découvre ces images sur un écran monumental de diodes. Des images composées de pixels en suspension… La clé de l’exposition est là, donnée d’emblée par l’artiste plasticien. Appréhendée, comme un médium, l’exposition est un support à part entière.
Parreno se joue du spectateur et brouille les pistes de l’interprétation, se plaisant à montrer ce qui ne se voit pas, à mettre en évidence la pensée, à matérialiser la réflexion. Ainsi, une bibliothèque, à la fois d’une grande banalité et recelant un mystère… Le mécanisme inattendu s’actionne faisant de l’étagère murale une porte dérobée, comme dans les châteaux de contes de fée. A l’intérieur de ce cabinet, se tient une conversation sans mots entre Merce Cunningham, danseur-chorégraphe et John Cage, compositeur–plasticien, qui, comme lors d’une exposition à New York en 2002, dialoguent via mines de graphite et pigments.
Ressorti du cabinet, le spectateur regarde des toiles phosphorescentes inachevées qui ne se montrent… qu’en pleine obscurité. Derrière lui, une machine à écrire, ou plutôt un robot à écrire, rend la parole à Maryline Monroe.
S’il ne fallait retenir qu’une œuvre de cette exposition, il faut absolument ressentir Dany La Rue. Parreno a installé seize Marquees qu’il orchestre sur le rythme de Petruchka (Igor Stravinsky – 1911) pour faire danser la lumière. Ses enseignes lumineuses projettent le spectateur dans son imaginaire, Broadway, Las Vegas, Pigalle, années 60 ou 70, chacun plonge dans un polar de sa filmographie personnelle. Les néons composent une chorégraphie lumineuse avant de céder la place à un échange d’un autre ordre : les ampoules se causent à travers des bruits connus de tous, et pourtant banals tant ils font partie de l’environnement sonore de tous les jours, ou de toutes les nuits plutôt…
Préférez-vous l’ennui d’être débordé ou celui de ne rien faire ?
Parreno aime nous montrer ce que nous oublions ou ne pensons pas à voir. Anlee, manga devenue vivante, l’illustre très bien. Après en avoir acheté les droits avec Pierre Huygue à leurs auteurs japonais en 1999, Anlee est devenue le signe d’une collectivité d’artistes après que Parreno et Huygue aient mis cette image à leur disposition d’artistes pour des interprétations plastiques personnelles. Au palais de Tokyo, Parreno va encore plus loin en donnant vie, en chair et en os (une actrice en fait) à sa poupée. A mesure qu’Anlee parle à son public, elle nous explique : « Je suis née mais que mes pères successifs sont toujours trop occupés pour discuter avec moi… » La poupée questionne : « Préférez-vous être débordés jusqu’à en être ennuyé ou vous ennuyer de ne pas être occupé ? »
Avant de quitter l’exposition, une dernière salle présente une porte automatique à double-battant. Une porte qui, a priori, n’ouvre sur rien, qui, a priori, ne remplit pas sa fonction de porte, se contentant de « trôner » au milieu de la salle. Alors ? En fait, la porte ouvre sur les bruits de la rue. Via ces sons venus d’ailleurs, le spectateur se trouve immergé dans la rue, physiquement à l’intérieur, acoustiquement dehors.
Des sons lumineux, des danseurs à entendre, une conversation à regarder, un dessin animé devenu chair… Toute l’exposition de Philippe Parreno déplace les sens…