Des fonds roses, des têtes de morts, des accessoires, des bas-résille, des corps désarticulés, dénudés, des visages masqués… Sulfureux, artistique, commercial, acidulé… le travail photographique du studio Les Augustins ne laisse personne indifférent.
En partenariat ART MAG, le magazine de l’art Amiénois
Comme un sculpteur ou un peintre, ses photos sont le résultat de soustraction autant que de construction qui donnent lieu à un travail artistique où se côtoient l’univers acidulé faussement innocent de Lio et l’œuvre de Marcel Duchamp. Ce qui anime le photographe et fondateur du studio Les Augustins, c’est la recherche, la composition : « Lors de mes études à la fac d’art d’Amiens, j’étais particulièrement intéressé par la peinture. Les surréalistes, la période dada et les grands maîtres de la peinture classique. Et comme en peinture, mon travail est très posé. La plupart de mes confrères cherchent à capter l’instant, moi, c’est tout le contraire, déclare-t-il, mon travail est étudié, composé. Je travaille sur des fonds et rarement en lumière naturelle. »
De la photo de mode …
Le studio Les Augustins est une référence pour la presse et le monde de la mode. Travaillant avec le magazine de pop culture Bon Temps ou encore de la presse dite féminine, le studio est sollicité par de nombreuses agences de mannequins à Paris, à Lille et lors de la fashion week. « La photographie est à la frontière de la création artistique et est loin d’être reconnue comme telle dans notre milieu professionnel. Je me sens constamment tiraillé entre la photo de mode et la photo d’art même si j’essaie toujours de concilier le travail artistique et de commande. » Un parti pris qui lui réussit plutôt bien car à Amiens, de nombreux jeunes talents viennent poser pour se constituer un book ou, plus prosaïquement, pour le plaisir de posséder des photos flatteuses à publier sur les réseaux sociaux. Mais tous guidés par la réputation du studio.
… À la photo d’art
La patte artistique, dans l’œuvre des Augustins, est indéniable. Ses inspirations, issues du dadaïsme notamment, y sont criantes. Choix des fonds, des tenues, mises en scène des sujets, travail de la lumière, les photographies Des Augustins sont bel et bien des œuvres d’art, même si son auteur peine à s’en convaincre. « Je me demande souvent si je suis à la hauteur de ce que je prétends faire. Parfois, je me dis que je suis un imposteur ! » Et pourtant ! avec près de mille photos par jour, le photographe cherche LA photographie. Celle qui exprimera l’essence de son esthétique. Celle-là même qui s’apparente à celles de Warhol ou de Duchamp et qui n’est autre qu’un regard impertinent sur le monde, le marketing et les diktats de l’image.
Car si une partie du travail des Augustins s’appuie sur le besoin narcissique et intime de ses modèles de plaire sur les réseaux sociaux ou de s’auto-rassurer sur son image, le photographe signe sa pratique d’un style bien particulier : « Je reconnais ceux qui sont passés par chez moi à leur façon de poser très maniérée (rires). Je suis moqué par mes amis parce que souvent je demande à mes modèles « plus d’arrogance ! plus d’arrogance ! » Le photographe demande toujours à ses modèles de forcer le trait, il joue avec les codes de la mode et encourage des postures exagérément désabusées afin d’en faire ressortir un côté absurde et interroger le regard. Et ça marche ! Car là où un regard non averti sera possiblement choqué, jugeant d’un travail photographique subversif ou teinté de provocation, un spectateur sensible pourra y lire l’expression d’un artiste qui rend hommage à l’histoire de l’art et revendique un esprit de liberté, pop et insolent.
Entre recherche et création
Rencontre avec un photographe passionné d’histoire de l’art.
Dj : Comment décririez-vous votre travail de création ?
LA : Quand je cadre, je retire une portion de réalité autour, pour ne garder que ce qu’il y a dans mon cadre. C’est la première étape, comme un sculpteur ou un peintre qui va enlever des bouts de matière pour une sculpture en bois ou en pierre. Ensuite, il y a le travail de sélection des photos. Le travail de création passe également par ce tri. Certains jours, je vais garder une photo mais un autre, selon ce que je cherche, j’en choisirai une autre, c’est pour ça que je ne jette pas grand-chose. Durant le confinement, j’ai classé près de 1,5 million de photos ! Beaucoup de personnes sont venues faire des photos avec moi, tous les jours mon regard change. Même si je sais ce que j’aime, je peux retourner chercher une photo faite il y a trois ans. Par exemple, une photo qui m’aurait semblé ratée parce que la personne sortait du champ pourrait m’intéresser aujourd’hui. Ce pourrait être celle-ci qu’il me va. Mon œil se forge au fil du temps et mon style se précise. C’est long en fait de se découvrir. En ce moment, je retire les visages de mes photos. Ils m’intéressent moins qu’avant. Alors qu’à la base, je suis un portraitiste, le visage tend à disparaître de mes photos. Soit je cadre une partie du corps, soit je masque les gens, c’est comme si j’avais mes propres modes, et des modes qui changent à » l’intérieur de moi « . Mon travail tend vers le minimalisme, le travail s’épure, s’attache à l’essentiel.
Dj : Où puisez-vous votre inspiration ?
LA : L’inspiration ? C’est autre chose l’inspiration. Qu’est-ce qui fait qu’en ce moment je travaille sur un fond rose et avec des masques ? je ne sais pas… (silence)… des rêves, des cauchemars, des choses que je vois à la télé ou que je lis. Il y a des moments je vais être dans des photos très pop, très fraîches, et parfois, à l’inverse, elles vont être plus sombres et violentes. Parfois, j’essaie de concilier les deux. J’aime le côté buble gum, mais aussi le punk. J’aime le côté accessible qui donne un côté pub et qui, en même temps, distille un message un peu politique. Par exemple, quand mon studio était rue des Augustins, nous organisions des expos, des événements, des happenings, des performances artistiques, entre le théâtre et l’art contemporain. Nous avions organisé un événement très rose, avec ce côté Barbie et en même temps en amenant des choses plus dures pour confronter des univers aux antipodes.
Dj : Quelles sont vos références artistiques ?
LA : Mes références sont diverses. Les années 60, le cinéma, la Nouvelle vague, la peinture classique, l’art brut et bien sûr, le surréalisme. Duchamp est une référence pour moi, la dernière photo que j’ai vendue, Le nu descendant un escalier, est un hommage à Duchamp, à son œuvre de 1912, c’est du cubo-futurisme. Duchamp avait été inspiré par la chronophotographie pour faire ce tableau et j’ai trouvé ça marrant de faire le chemin dans l’autre sens. C’est moins pop mais la recherche, la composition, le ready-made m’intéressent. Ensuite, l’un de mes photographes préférés est Guy Bourdin, le grand photographe de Vogue dans les années 70. Guy Bourdin était l’élève de Man Ray, son assistant. Son travail m’inspire beaucoup. Pour moi, pour être photographe, il faut être passé par l’étude ou la pratique de la peinture.
Dj : Qu’est-ce qui vous anime dans votre pratique au quotidien ?
LA : J’aime faire des clins d’œil et des références à l’histoire de l’art, je trouve ça marrant. J’ai un stock de fonds que j’utilise comme des palettes. J’invente un décor, une histoire, comme au théâtre. Au début, le rose était loin de moi, c’est presque pour rigoler, du second degré, de l’insolence, mais finalement ça m’a plu alors j’ai exploré, je suis allée plus loin et maintenant, je trouve ce côté acidulé très intéressant car il vient contrebalancer le côté grave et sérieux qui est trop souvent demandé par les agences. 70 % de mon travail est commercial, et le reste, c’est du travail de recherche que je fais avec des modèles. J’en ai trois ou quatre avec qui je travaille régulièrement. Parfois, je ne me rends pas compte que je suis en train de faire un truc bien. La photo de la fille avec les jambes dans le carton a été complètement improvisé. D’ailleurs, souvent le « truc » qui restera est souvent un accident.