J’ai reçu, en présent, pour mon non-anniversaire deux grands livres. Par le format et par ce qu’ils contiennent. J’ai commencé par le livre d’images. Oui, j’ai reçu pour mes 45 ans et 13 jours, un livre d’images. De photographies pour être précise. Un livre avec des planches de photos. 20 photos en quadri par page. 20 photos de gens. Voici qui n’est pas pour me déplaire, dixit la favorite expression. Si curieuse des gens, j’ai reçu en cadeau 1 760 portraits de gens. Des jeunes, des vieux, des beaux, des laids, des gros, des rachitiques, des blêmes et des magnifiques. Des hommes et des femmes… un travail photographique réalisé sur une période de vingt ans. Par deux artistes photographes.
Ari Versluis est néerlandais et, depuis 1993, il scanne les gens de son regard inquisiteur. L’air de rien, il se campe au coin d’une rue, dans une gare, caché dans la foule. Caché au grand jour, masqué par les tous qui l’entourent. Et pourtant visible, dans la banalité du grand tout le monde, il observe. Nous observe. M’observe ? Son regard bleu s’arrêtera-t-il sur ma silhouette ? S’arrêtera-t-il sur mes vêtements ? S’arrêtera-t-il sur votre style ? Sur ce choix vestimentaire que cette jeune fille a effectué avec le soin d’un chirurgien ce matin ? Et cette couleur de cheveux ? Et ce percing ? Et ce tatouage ?
En fait, avec sa complice Ellie Uyttenbroek, ils sont en chasse. Ils nous chassent. Un peu comme des anthropologues. Curieux témoins de leur époques, les artistes, photographes pour l’un et styliste pour l’autre, immortalisent nos sociétés vestimentaires. Nos sociétés posturales. Nos postures picturales plus exactement : « Nous sommes des sortes de profilers. 50 à 80 % des gens sont habillés n’importe comment, ce sont les autres qui nous intéressent », dit Aris dans une interview en 2008, accordé à Télérama. Ceux qui sont intéressants à leurs yeux sont ceux qui font un effort de costume. De look. Pour se démarquer ? Pour se faire remarquer ? Les deux. Ceux qui par leurs choix vestimentaires se revendiquent d’un mouvement, d’un style, d’un univers… Ce travail serait une sorte de sociologie artistique ? s’interroge le journaliste de Télétrama. Bof. Aris ne sait pas. Se prononce en “ni-ni”. Ce qu’ils ont remarqué’ avec Ellys, c’est le code vestimentaire prépondérant des lieux qu’ils visitent… S’auto-qualifiant de loupes, ils disent avoir remarqué des styles qui signent des espaces. Un dress code. À la fois subtile et évident. Et pourtant ?
Dans ce livre sans mots mais loin d’être sans langage, le travail de fourmi, réalisé depuis 1993, montre de façon assez saisissante, la banalité des vêtements. Au regard de ses photos, force est de constater que le vêtement évolue peu. Le carreau de la chemise d’aujourd’hui est le même que celui de 1995, les bimbos de 1997 ressemblent à celle de 2016, les mamies de 2000 aussi, les supporters de 1999 pourraient sortir des stades aujourd’hui qu’on ne ferait aucune différence !
« La mode se démode, le style jamais » disait Coco Chanel
Pourtant, nos choix parlent plus ou moins de nous. Je cite Aris : « Avec votre veste militaire et votre jean, vous avez un style qu’on retrouve partout. Dans les années 60-70, la veste militaire, c’était politique, contre la guerre du Vietnam. Aujourd’hui, c’est juste pratique, c’est cool, c’est la mode… » et je confirme depuis mon vestiaire : ma fille m’a encore piqué ma veste kaki ! Celle-la même héritée de ma tante préférée… qui a 60 ans aujourd’hui ! La veste passe-partout, celle qui rend invisible (pas d’identité = pas de revendications) et très visible : ben quoi ? Et en kaki militaire ? Même les femmes ? Absolument ! Femmes… Mais… pas pour le regard de tous… du moins le croient-elles… car les hanches sous le tissus camouflage, finalement, les trahissent. Donc, femmes en kaki, femmes en guerre ? Contre quoi ? Contre qui ? Contre l’indifférence ? Contre elles-mêmes ?
Les deux artistes ne relookent jamais leurs sujets. Au contraire. Lorsqu’ils convoquent dans leurs studios les « modèles » qu’ils ont repérés, ils leur recommandent de venir habillés comme le jour du casting sauvage. Ce qui intéressent les artistes, c’est la ressemblance dans la personnification. Ou l’inverse. La revendication d’un style… d’un mode de vie, d’une passion, d’une identité. Leur travail « sériel, têtu, obsessionnel » peut être également vu comme pédagogique. Les adolescents, en plein coeur de leur structure identitaire gagneront du temps dans leurs choix en détaillant ce grand et gros pavé. Les parents, pris de panique devant les iroquoises ou les cheveux bleus de leurs bébés verront que d’autres pères et mères doivent partager leur angoisse et devant la page suivante, ils se souviendront de leurs 15 ans, un rien nostalgiques, oubliant l’angoisse de leurs propres parents. Les racistes verront que, définitivement, le monde est pluriel et coloré, et que la différence est une vérité qui appartient à chacun. Que la différence n’existe que parce que chacun est différent. Et les peureux constateront qu’ils cherchent toujours à se rassurer par l’adoption d’un groupe. Ces photos parlent de gens habillés et d’âmes mises à nu, apprêtées d’un décorum, figées dans leur attitude d’un jour.
Merci les artistes pour ce travail qui a rejoint ma bibliothèque de trésors dans son jjjudicieux emballage cadeau cerné de clins d’oeil et de Scotch inactinique.
L’article de Télétrama résume le travail d’Aris et de Ellis : « Le plus apprêté des dandys aura toujours l’air d’une truffe empourprée au milieu de ses semblables. » Et les artistes de livrer une conclusion tranchante comme un couperet : « Chef de confort moderne : invisible monsieur tout-le-monde vivant au jour le jour sa vie d’employé. Achète tout à l’hypermarché, de ses chaussettes à son assurance. » Eh ben !
On les voit tous ces invisibles. C’est vous, c’est moi et c’est terrible… Où est mon adolescence ? Où est mon bandana de Renaud qui chantait l’humanité et la grand Fréhel ? Je regarde mes chaussures, aujourd’hui des baskets. Pour le confort. Elles sont habilement tâchées de peintures pour la touche de non-conformisme. Des chaussants qui disent (du moins je crois qu’ils disent) : « Je sais que je suis graphiste dans l’âme mais je n’ai pas d’autre talent que celui de valoriser les idées de plus talentueux. » En fait, je revendique un look décontracté et coloré, refuse les jupes aux genoux et les talons aiguilles inconfortables mais j’aime quand même que les femmes créatives prennent le pouvoir… Intemporelle, je me suis retrouvée dans plusieurs planches de photos du collectif exactitudes. De plurielle, je deviens puzzle.
Merci l’artiste pour ce kdo de non-anniversaire…. 🙂
hello Dominique
j aime bien ta chronique sur « exactitudes ».
ça me donne envie de feuilleter le livre.
bises